Moi j’ai connu la guerre ! La 2007-2010 ! La guerre de Septimus contre Septimus, qu’on a encore appelée la Guerre des Nerfs… Je viens de décider unilatéralement d’y mettre un terme. Il me faut tourner la page, cesser mon feu. Je sais que je n’arriverai plus à rien contre moi-même, seulement me faire souffrir encore. Et faire souffrir encore au dehors, évidemment !
Je me suis signé un armistice, au Revenez-y, à 16h30. Le Revenez-y est le bar qui fait l’angle de la rue Muller et de la rue de Clignancourt, ce jour-là un écailler y avait installé son étal et proposait la douzaine de bonnes grosses huîtres pour 15€. C’est ça qui m’a décidé. J’aime beaucoup les huîtres, j’ai passé commande. Prenant place à ma table dans le fond de la salle je me suis soudain interrogé :
‟Et si je me faisais la paix ? »
Quand l’assiette de l’écailler s’est retrouvée devant moi avec le verre de Chablis gracieusement offert, la vision surprenante que j’ai eu de ces mollusques reposant au fond de leur eau, mollusques tranquilles, paisibles, au final mollusques confiants, voilà, confiants – tout l’opposé de ce que je ressens la plupart du temps dans mon être tourmenté – cette vision m’est apparue comme la confirmation magistrale, le signe que Les Temps étaient advenus. C’est possible me suis-je dit, vois ici la beauté offerte, ces verts pâles et ces nacres, vois le laiteux des chairs comme un chant pastoral, vois, comprends, et rejoins la paix des huîtres !
J’ai beurré le pain, j’ai piqué le citron en invoquant le Grand Nom,
et je me suis fait la paix !
Je me la suis gobée plus exactement. Calmement, consciencieusement, avec de la sauce à l’échalote aussi un peu, mais je préfère quand même le citron.
J’ai d’abord gobé mes rancœurs. Bien grasses mes rancœurs, à vous étouffer ! Telle parole blessante, tel rire un peu hautain, même ce petit sourire condescendant lorsqu’il s’agrippe à votre conscience et vous triture le cœur, des heures et des heures ! Que cela qui s’est dit, s’est dévoilé et m’a blessé, que cela rejoigne à jamais le grand océan aux algues lentes, aux remous d’indifférence.
Pain, beurre, citron.
J’ai gobé mes lâchetés. On se retrouve parfois pris dans des courants contraires, et voilà que le sable tourbillonne, aveugle. Le petit poisson se met alors à frayer avec les poissons-loups pour conjurer sa peur, ou bien se cache, tremblant, derrière un rocher. Lâcher prise, lâcher toutes mes méprises, oublier même mes lâchetés.
Pain, beurre, citron.
J’ai gobé ma colère. Gobée je l’ai, ma colère ! Paix des huîtres, paix sous mer aux enfants du silence.
Pain, beurre, citron.
J’ai tout gobé vous dis-je, de cela qui m’a fait mal, et du mal que j’ai fait.
J’ai même gobé la raison, la saleté de raison. Il faut raison jeter par-dessus les blés, s’astreindre à vivre en toute déraison. Pain, beurre, citron.
J’ai encore gobé quelques illusions, qui me collaient.
Et enfin je me suis senti en paix.
La dernière huître, petite huître dans l’assiette comme une offrande, m’offrait sa rédemption, j’ai hésité, j’avais déjà tout gobé, tiens celle-là c’est pour Charles-Edouard j’ai pensé en souriant. Toute fine, bien maigre. Un petit goût, quand même…
Quand K est rentrée au soir à l’appartement j’étais enfermé dans les toilettes, tremblant, le front trempé de sueur. Je me vidais, excusez-moi. En geignant.
Elle a toqué contre la porte, inquiète ‟Ca va pas, Septimus ? »
‟Je m’ai fait la paix », j’ai réussi à marmonner.
‟Tu t’es fait lapider, Septimus ? » qu’elle s’est exclamée ! ‟Dans la rue ? »
‟Non, la paix, la paz, je me suis signé la paix … En dégustant des huîtres au Revenez-y, cette aprèm ! »
‟Ah d’accord, et elles étaient pas fraîches c’est ça ? Oh la la, Septimus, pauvre chou ! »
‟Non, elles étaient très bonnes, juste la dernière, mais j’ai pas fait gaffe, la petite dernière tu comprends ! La Charles-Edouard ! »
‟La Charles-Edouard, comme Charles-Edouard, celui du blog ? »
‟Ouais, celui-là. »
‟Ah zut ! Et la paix alors, Septimus ? »
Ben c’est pas gagné…