Ah! pour ça mademoiselle, c’est toute une histoire, on dirait une épopée et puis tout autant un conte des mille et une nuits, qu’ils voudraient bien nous faire accroire, mais permettez-moi de vous dire d’abord ceci, et c’est la plus stricte vérité mademoiselle, ils perdent leurs dents, comme tout le monde, une après l’autre, surtout vers la fin ! Et leur kaddish, non ce n’est pas un chien, c’est pour quand ils sont morts, aussi moi je pense que les juifs, si vous vous voulez mon avis mademoiselle qui êtes bien jolie, ces juifs ils ont beaucoup à voir avec le temps qui passe… et donc avec la mort, nécessairement. Je ne dis pas ça à cause de leur dernière histoire, leur Shoah, non, moi je dirais depuis toujours, à y penser déjà, à tourner tout ça dans leur tête, comment ça se fait qu’on est là, à vivre, c’est quoi l’arnaque ?
Je me les représente parfois en un long cortège, un interminable cortège qui cheminerait lentement, de la vie à la mort, tout en devisant. Depuis la nuit des temps. Accompagnés de leurs enfants sages, je les vois comme ça leurs enfants également, un peu trop sages, par les rues. Et donc mes juifs, à cheminer ainsi l’âme en peine, ou l’âme en quête, évidemment ça les rend songeurs, on les voit méditer, le dos légèrement courbé comme il se doit quand on a le poids des ans sur les épaules, et je comprends qu’ils se tiennent alors tous un peu par la barbichette, en raison précisément de ce chemin qu’ils parcourent, et qui les interroge. Ou qu’ils interrogent… on n’est sûr de rien, vous savez !
Mes juifs ont la peau dure à ce qu’on dit, pour moi c’est un petit sens de la survie qui leur est venu avec le temps, leur maigre flamme de bougie sous le vent, le vent des impondérables, ces petites et grandes misères dont il aura bien fallu s’accommoder, tout au long de ce long chemin.
Tiens, je vous parlerais bien de certains livres que j’ai eu l’honneur et le plaisir de consulter, mais on est si bien à danser ici, et puis j’aurais l’air de me donner un air, comme si je savais des choses alors que je vous ai à peu près tout dit déjà, et surtout que vous êtes bien jolie ! Juste quand même j’aimerais vous dire que les mots, les mots vous imaginez, ils forment la vie avec, leur vie… mais bon c’est en hébreu, alors là tout de suite entre nous ça ferait un peu chinois !
Israël, vous me dites ! Ah ça, c’est une autre chanson, mademoiselle…
La proximité historique entre la destruction des juifs et la constitution de l’État, le rôle décisif de la catastrophe juive dans l’obtention et la fondation d’Israël ont ravivé, dans l’espace sioniste israélien moderne, le mythe antique renouvelé de destruction et de rédemption, d’impuissance et de toute-puissance. La formation de l’israélité et de la toute-puissance israélienne, la légitimation de cette dernière et de ses pratiques à partir de l’impuissance totale des juifs d’Europe, et le lien inévitable entre elles, se sont progressivement consolidées grâce au conflit israélo-arabe.
« Les millions de juifs exterminés parce qu’ils étaient sans patrie nous contemplent depuis les cendres de l’histoire israélienne et nous exhortent à coloniser et à construire une terre pour notre peuple » a déclaré Moshe Dayan
…. Depuis, toutes les guerres d’Israël ont été perçues, définies et conceptualisées dans des termes liées à la Shoah… La nazification de l’ennemi, quel qu’il soit, et la transformation de chaque menace sécuritaire en danger d’extermination totale ont donc caractérisé, des années 40 à nos jours, les discours des élites politiques comme le jargon de la presse ou la conversation des gens dits « ordinaires ». En octobre 2000, quand Israël déclencha une offensive militaire massive pour écraser l’insurrection palestinienne, M. Shimon Pérès dit à Arafat : « Israël ne peut pas se permettre une autre Shoah ».
(extrait d’un article de Idith Zertal, historienne israélienne, in Manière de voir, le Monde diplomatique, Histoires d’Israël, 2008)
Vous voyez mademoiselle, ce n’est pas la chanson des juifs que je préfère, cette chanson-là. Et je n’aime pas trop ceux qui la chantent, ils me font de la gêne, même !
Être juif c’est peut-être un peu pleurer, mais quand même ! Il y a la vie, non ? Et c’est pour tout le monde pareil