Ça claquait sur les toits, des jupes de sorcières démesurées giflaient toute la hauteur des façades. Sorcières en rage, furies qui dansaient dans cette nuit de bacchanale en jetant des hurlements, d’abord longues mélopées graves et profondes, tourbillonnant en un puissant manège de ressentiments, un vrombissement de rancoeurs, puis soudain haussant le ton, expulsant leurs cris jusqu’à la stridence d’une haine pure, accompagnée du claquement fou des bâches géantes, libérées de la sage pesanteur, à présent livrées à leur folie de sarabandes. Tiens petit homme, prends celle-ci ! Vlan ! Et celle-là ! Vlan !
Mon immeuble est en réfection, aussi on l’a flanqué d’un échafaudage sur toute sa hauteur. Notre piaule est au dernier étage, le sixième. Cette nuit je me suis retrouvé vigie sur cette mer de bâches déchaînées, qui venaient fouetter inlassablement ma fenêtre ainsi que le toit de zinc en contrebas, celui qui coiffe l’autre partie de l’immeuble et nous fait comme une petite terrasse, l’été.
Vigie, témoin, et rédempteur pour vous autres, devant la colère du vent. K. prétend qu’elle a dormi sereinement. Aux innocents les songes heureux, moi cette nuit j’ai fait rédempteur ! C’est une charge effrayante, épuisante, mais je l’assume. Je suis un peu fait pour ça vous savez…
Il faut rester à l’abri, car si vous tombez sous la prise du vent vous voilà fétu, perdu, cafard sous la tornade, réduit à votre instinct de survie. Alors que dans le rôle que je me suis assigné il faut s’efforcer de devenir tel un diamant de conscience. Pas facile, pas donné à tout le monde…
Se poster devant la fenêtre, au plus près, la joue plaquée contre la vitre, à bien en ressentir la fragilité dans son tremblement continu, dans cette tension du chambranle qui geint.
Et alors s’efforcer d’accompagner le vent. Quand sa puissance monte, porteur du désir de tout détruire, sève de colère qui grimpe le long des cheminées, ne pas s’opposer.
Comprendre. Cette colère est juste. Tant de pensées veules, pleutres, lâches et couardes, tant de mensonges devant nos miroirs, tant de mots d’amour rafistolés, tant de petits arrangements avec la vie, tant de portions congrues, nos petitesses jour après jour… Que tout cela soit balayé au vent-geur, le vent rageur !!
Et quand la claque s’abat, ressentir qu’on est simplement là, debout sur ses deux pieds, et remercier la délivrance.
Dans le vent qui reprend son souffle, dans l’accalmie momentanée, chercher quelque chose qu’on pourrait appeler la paix, quelque chose qui aurait à voir avec l’humilité, la richesse du dénuement, quelque chose comme un matin sur l’océan paisible. Chercher en soi cela.
Et puis repartir de nouveau avec le vent quand il est rechargé de sa vindicte. S’épuiser avec le vent mauvais, extirper de nos âmes tout ce fiel.
Et ensuite rejoindre à nouveau dans la paix le vent qui se cherche.
Vous verrez, c’est ce vent-là, calmé enfin, qui aura le dernier mot, le dernier souffle, la dernière brise.
Alors s’installera la paix.
C’est comme pour les algies dans la tête..
Je connais bien, j’ai beaucoup pratiqué.