Tourbillard

Quand ça va pas trop bien, des fois ça va encore plus mal. Et quand c'est à ceux qu'on aime que cela arrive, on se sent perdu, inutile, déplacé. Parfaitement nul

Je suis resté dans la salle d’attente aux fauteuils orange, une couleur toute exprès pour rassurer. Il n’y avait que moi dans cette grande salle pourtant encombrée de sièges prêts à étreindre des douleurs de familles, accueillir des destins au dos soudain raidi, réconforter des fins de partie en bout de bille, en fin de billard. Mes pensées en rafale bondissaient avec force sur les murs, puis me revenaient en un écho assourdissant, avant de repartir de plus belle, comme un manège emballé.

« On s’est connus, on s’est reconnus,
On s’est perdus de vue, on s’est r’perdus d’vue
On s’est retrouvés, on s’est réchauffés,
Puis on s’est séparés.
Chacun pour soi est reparti,
Dans l’tourbillon de la vie « 
Ouais, drôle de tourbillon que la vie, ça nous allait plutôt bien, tant que ça ne se mettait pas à tourner siphon ! N’empêche c’est moi ce jour-là qui l’avais accompagnée, dix-huit ans de vie commune et une enfant de douze ans à partager, ça fait référence en chemin de vie… quand bien même j’avais quitté le domicile familial six mois plus tôt, pour me mettre à tourner dans le quartier, un peu zombie.
Elle est enfin sortie de sa consultation, je me suis levé, on a marché vers la sortie, elle a parlé, j’étais là. Elle n’a pas voulu que je la raccompagne vers chez nous, vers chez anciennement nous, chez elle à présent

Alors je suis parti vers mon oubli.
J’ai pris la pente qui s’offrait par-là, devant l’hôpital Saint Louis, et c’est comme ça que je me suis retrouvé canal St Martin, à hauteur du célèbre pont, avec l’hôtel du Nord juste devant. N’a pas changé celui-là depuis le temps. J’ai pénétré dans le bar, j’ai avisé la serveuse qui semblait s’ennuyer ferme derrière son zinc, et je n’ai pas pu m’empêcher :
‟ On doit vous le dire tous les jours, alors je peux me permettre : t’as de beaux yeux, tu sais ! »
Elle a eu un regard étonné, puis m’a souri franchement : ‟ Ah non, vous vous trompez de film, ici c’est Atmosphère ! Atmosphère ! qu’on me surine tous les jours…  » On a un peu rigolé, mais je n’avais pas le moral à vrai dire, j’ai pris un bourbon et je me suis calé en bout de bar. Je suis resté à contempler le fond de mon verre, pas vraiment au mieux de ma forme, j’aurais pu éviter de faire le mariole. Ça va pas fort : c’est que tout a changé. Ces petites misères que j’ai pris l’habitude d’étaler ici comme de la confiture de coing sur le pain de mes jours, ce désenchantement d’enfant bien nourri, tout cela s’est envolé comme feuille au vent. Maintenant c’est un gouffre. Je me tiens encore debout mais tout semble se dérober, tout bascule ; la distance entre chaque chose devient plus épaisse, les voix plus sombres, les regards se chargent de crainte. Mes pas résonnent comme du marbre. Cependant qu’une voix intérieure, accablante tel un tocsin, répète sa litanie « la maladie s’est installée ». En Elle, en son sein.
Je voulais vous le dire.

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